samedi 18 octobre 2008

PÉRIGORD






















































...
“Ils m’ont jugé à pendre
Que c’est dur à entendre
À pendre et étrangler
Sur la place du
Vous m’entendez
À pendre et étrangler
Sur la place du marché”
....




“Pleur’pas Nelly
Pleur’ pas Nelly
Demain on va me pendre
Pleur’ pas Nelly
Demain tout s’ra fini”




*
Et je dis :


Je dis automne
Je dis enchantement
Et je dis magie










Je dis Jaune franc
Je dis jaune d’or
citron
Je dis jaune persan
pourquoi persan ?


Sénégal
et pourquoi pas ?
Je dis ocre jaune
Terre de Sienne brûlée
ou pas brûlée
Carmin
Écarlate
Magenta
Rubis
Vermillon
Et je dis velours
cachemire et brocart


Je dis roux
roux surtout
roux
Je dis l’écureuil la queue en panache
Et je dis le chevreuil et je dis le cerf et la biche
Je dis noisette
Et je dis noix
Pomme de mélèze
Et je dis le gland dans son cuir
La châtaigne






Je dis l’écharpe
flottant au petit matin


Et je dis la montgolfière du soleil
Sans bruit
surgie à la tête du grand chêne


Passe
va doucement où l’imperceptible vent te mène


Château sur la crête
Multiples tourelles
Coupoles
Multiples fenêtres
Longues murailles


Mage
Je dis Magie
Je suis le Magicien
J’ai beaucoup marché sur les chemins du monde
Je marche encore et j’entre dans la ville
Less avenues sont jonchées d’étoiles
Prends garde où ton pied se pose
Sur les trottoirs j’ai semé des étoiles d’or
J’ai porté la flamme dans les allées de liquidambars
Flammes jaunes flammes rouges












C’est ainsi que je suis entré dans la ville
En passant par le jardin des poètes
Où le marronnier avait roussi


Magie des marchés dans les rues
J’ai fait venir aux parvis des cathédrales
J’ai fait venir ...


... “Y’a un’ si tant bell’ fille lon la
Y’a un’ si tant bell’ fille ...”




J’ai fait surgir des cathédrales et des palais
J’ai orné les murs de corniches et de moulures
Les fenêtres et les portes d’ arches et de meneaux
d’ogives et de vantaux cloutés
J’ai élevé de hautes toitures et des tours
couvertes d’ardoises et de tuiles douces


Et puis sur les places pavées de granit
J’ai installé les marchandes et les marchands


J’ai installé la poèsie au milieu de la ville
Et tout est “plume sur la langue”














Les châtaignes et les noix
Les tomates et les choux
Pommes poires du pays
Conserves de foie gras
Saucisson de canard
Magrets et cous farcis
Confits cassoulets
Les raisins noirs blancs dorés
Et les figues Ah! les figues !


J’ai servi le vin bourru à nul autre pareil
Le Bergerac et le Pécharmant
Les rouges et les blancs


Et puis je suis entré dans la cathédrale
Les grandes orgues y jouaient
Elles disaient bien que j’étais le Roi
Le Roi
Mais quand les orgues se sont tues
Un homme noir a joué de la khôra
J’étais le roi du monde !


On baptisait trois nouveaux-nés avec de l’eau sur le front
Et les vitraux flambaient










Je dis ocre jaune
Terre de Sienne brûlée
et pas brûlée
Carmin
Écarlate
Magenta
Rubis et vermillon


Je dis roux
roux surtout
rousses les fougères
rousses
Et je dis bleu bleu azur bleu




Et j’ai lancé des ponts
Sous leurs arches on voyait des coupoles et des tours
Des eaux coulaient que l’on aurait voulu plus claires
Mais elles l’avaient été sans aucun doute
en des temps longtemps
Un moulin en témoigne
Des chevelures vertes s’y déploient tout de même
Et des yeux y brillent, clignotants
Des saules y pleurent le temps qui passe
Mais un merle était caché dans le feuillage
Mon Dieu qu’il était gai !














Alors je suis sorti de la cité par la venelle étroite
Les étoiles d’or sur les trottoirs
Avaient séché un peu
Les pas en avaient détaché des pépites


L’an prochain il y en aura encore
Allons je marche dans la poussière d’or
Par ci par là une étoile couleur lie de vin
Et les arbres n’ont pas encore fini d’ôter leur robe


Je sais que sous le sol à côté
Est une ville deux fois millénaire
Je sais
Je sais que partout
je marche sur des os brisés.


*


“Ne pleure pas Jeannet-ette
Tra la la la la la la la la
Ne pleure pas Jeannet-ette
Nous te marillerons
Nous te marillerons ...”


15,16 octobre 2008

mardi 30 septembre 2008

LA LÉZARDE


LE LÉZARD




Je vois bien que le lézard sait remplacer sa queue
Mais que me dira le lézard ?


Je dis lundi
mar
mer
Je dis vendredi
samedi
et dimanche
Et une et deux et trois
Jusqu’à vingt quatre et janvier février mars et les autres jusqu’à douze
Et tous les deux mille qui vont se succéder jusqu’à trois et ça recommence
Et chaque millième de seconde qui compte les battements de mon coeur
Mais les secondes les heures les jours les mois et les ans ne sont qu' illusions


Blocs rompus
Éboulis
Sables
Sablier indifférent
À taille fine de danseuse étoile
qui me tue




Si nous n’existions que par nos mots
Que restera-t-il de nous ?






Message aux archéologues de demain
Ah! L’archéoptérix
Il volait !






Écroulement des verticales
toutes !
Les tours et les murs retournent à la terre
Fouilles organisées dans ce qui fut nos terreurs nos désespoirs
Tu sais
La ceinture de feu du Pacifique
Elle était bouclée autour de mes reins
Silice






La trouveras-tu
Ta pierre de Rosette ?
Homme mécanique électrique électronique magnifique !












Tessons brisés
Mots cassés
Les meules même sont usées
Autre grammaire !
N’est-il pas vrai que la parole se brouille quand tombent les murs de la ville ?
N’est-il pas vrai que le puits oublie son nom lorsque personne n’en tire plus la chaîne ?
Ou bien c’est tout comme et ainsi se perd le sens






Babylone Cnossos Palmyre




“ Aqui se ha construido un pueblo
donde vivan de la cria de animals y agricultura
donde se cultiva la zahina y la cebada“




Pourrez-vous suivre du doigt le réseau des racines
ses noeuds
ses silences ?














Les mots portent charge
Ils sont caduques comme les feuilles
Et fragiles


O toi
Aux oreilles aux yeux aux doigts inconcevablement sensibles et précis
Aux sources de la vie et de la mort la plongée s’annonce


Je vois bien que le lézard sait remplacer sa queue quand il le faut
Mais que dirais-je au lézard ?
Musiques battues d’autres mesures
Brouillage des signes et des indices






Aux excès de l’aigu le cristal se brise
Et la queue du lézard aussi
Mais le lézard sait remplacer sa queue
Il y aura d’autres murs et d’autres tours dans les sables
L’homme un jour apprendra sans doute à remplacer ses membres mutilés




À moins que ...

mercredi 30 juillet 2008

LA MÉDUSE (à Robert et Josette Audoin)












Méduse ...
Rien ici de péjoratif
Méduse
Simple forme vague
Virtuelle à demi
Mais qu’est-ce que c’est que cette chose-là ?
Pivoine chrysanthème
Fleur
Pourquoi pas
La rose épanouie ?


Ballon transparent
Improbable vessie ...


Couronne versatile
Mon coeur pantelant
Au gré des courants
Semblable à l’océan qui le baigne
Tantôt dans les grands fonds
Balloté
Tantôt à fleur d’eau


La méduse reçoit de la mer les principes de la vie
Mais elle voudrait
Elle voudrait tant ...


















Elle voudrait tant monter
Monter monter
Ivre de désir et d’amour
Quand elle monte parfois
Elle sent gonfler
Le tissu de son corps qui se distend




Comme le ballon qui monte
Ce qui l’emplit se détend
Le ballon gonfle
Gonfle
O douleur !
Douleur du désir
Douleur de l’espoir
Douleur de l’accomplissement
Dans un cri la déchirure


Mais quand la méduse redescend
Entraînée vers des eaux plus denses
Plus froides
Autre douleur
Semblable douleur de l’être tout entier
Jusqu’à l’implosion ?












Ludion jamais satisfait
À peu près impuissant
Sensible
O sensible !
Baigné par tous les courants
Tous les sels
Tous les acides
Excité par tous les contacts
Énervé par les absences


O monter, monter !






Monter
Monter encore ...
Ivresse
Mon rêve embrasse l’univers
Prophètie ?
Chanson
Douleur de voir ce que sera demain
Et quel poids me tire vers le bas
Douleur
De ne pas avoir d’aujourd’hui


















Je le sais
Quel que soit le sort
Cela finira par un vent
Un tout petit vent presque sans bruit
La vessie qui se déchire
O mes rêves et mes désirs
Mes amours et mes plaisirs !
À quoi bon
À quoi cela rime-t-il ?


“Cela ne rime rime rime
Cela ne rime rime à rien” ...*


Un sac vide
Guenille
Sur la plage où je voyais des étoiles ...




Ce n’est pas pour la méduse
C’est pour les étoiles !


Juillet 2008 * Louis Aragon : Elsa.